Mon mémoire de fin de Master portait sur un sujet d'actualité qui me tient
fortement à cœur et qui me passionne : les nanomatériaux dans les produits
cosmétiques (toxicité et réglementation principalement).
Je pense que quiconque travaille dans le milieu a déjà été confronté à la problématique des nanos. Car ils sont très présents dans les crèmes solaires en tant que filtres UV, dans les dentifrices (oxyde de zinc
et dioxyde de titane) et dans le maquillage en tant que pigments principalement (carbon black,
oxyde de fer).
En France, environ 92 000 tonnes de nanomatériaux produits et importés par an sont destinés aux produits cosmétiques (donnée issue du rapport suite au dispositif R-Nano). Avec une telle présence, il est naturel de se demander s'ils sont bien inoffensifs pour l'homme - d'où l'origine du débat.
Tout d'abord, qu'est-ce que qu'un nanomatériau ?
Les nanomatériaux sont des particules, fibres, sphères, etc., de composition
variée qui possèdent au moins une dimension inférieure à 100 nm. Leur taille
réduite et leur grande surface spécifique leur confèrent des propriétés
différentes des mêmes molécules à l’échelle micro ou macro.
TiO2 nano en formulation, sous forme d'agrégats (Image prise au MET)
Quid de la réglementation ?
En Europe, l’utilisation des nanomatériaux en cosmétique est couverte par le
Règlement des produits cosmétiques (CE) n°1223/2009.
La partie sur les
nanos est plutôt aboutie, en comparaison aux réglementations d’autres secteurs
(pharmaceutique, alimentaire, technologies…) qui sont quasi-inexistantes. Nous
pouvons déjà nous estimer heureux !
Ce règlement donne la définition d’un
nanomatériau, un dispositif pour la notification (sur un portail électronique –
article à suivre), l’étiquetage (mettre nano entre crochets devant le nom INCI)
et l’évaluation de la sécurité des produits cosmétiques contenant des
nanomatériaux.
Que reproche-t-on à ces particules ?
Ces particules sont si petites qu’elles peuvent aisément traverser la
barrière cutanée (par voie intra, intercellulaire ou via les follicules pileux)
et donc potentiellement avoir une activité systémique (interagir avec les molécules de
l’organisme et modifier le métabolisme naturel).
Elles peuvent par exemple entraîner la
production de molécules oxydantes (résultants ou non d’un
processus inflammatoire) ou alors interagir directement avec l’ADN dans le
noyau des cellules, créant des mutations génétiques souvent irréversibles et
pouvant aboutir à l’apparition de cancers.
Si mal connus et
maîtrisés, les nanomatériaux peuvent s’avérer être dangereux pour la santé.
Quels sont les nanos que l'on peut retrouver dans nos produits cosmétiques ?
Voici une petite liste non exhaustive des nanos les plus couramment utilisés par l'industrie cosmétique :
L’oxyde de zinc
Solide blanc, sans odeur utilisé en tant qu’agent de foisonnement (il réduit
la densité apparente des produits cosmétiques) et absorbeur UV (on le retrouve
beaucoup dans les crèmes solaires).
Image au MET de ZnO nano enrobé
Avis du SCCS : Ne pose pas de risque pour la santé humaine si son
utilisation dans les produits cosmétiques est inférieure à 25% (avec des
propriétés physico-chimiques que je ne détaille pas ici mais que vous trouverez
dans le rapport complet).
Production estimée : entre 100 et 1000t annuelle tous secteurs
confondus.
Le dioxyde de titane
Le TiO2 est également un solide blanc, sans odeur, utilisé dans les produits
cosmétiques en tant que pigment pour ses propriétés opacifiantes et
blanchissantes, mais aussi en tant qu’écran UV dans les crèmes solaires.
Les particules de TiO2 ont tendance à s’assembler sous forme d’agrégats de
taille comprise entre 30 et 150 nm.
Leur production annuelle pour 2013 est comprise entre 10 000 et 100 000t
tous secteurs confondus.
Le SCCS a conclu que son utilisation en tant qu’écran UV à une concentration
de 25% dans les produits cosmétiques ne présentait a priori pas de risque pour
la santé, sur peau saine mais aussi sur peau brûlée par le soleil (dont la
fonction barrière est endommagée, laissant plus facilement le passage aux
particules). Cette recommandation ne s’applique pas aux formulations sous forme
de poudre ou de spray, qui peuvent conduire à une inhalation du produit (et donc potentiellement une inflammation pulmonaire).
Les propriétés physico-chimiques sont décrites dans le rapport du SCCS.
La silice
Le dioxyde de silicium est un minéral très dur, blanc qui peut être d’origine
naturelle ou synthétique. Cette substance est très utilisée dans les produits
cosmétiques en tant qu’agent abrasif (dans les gommages), absorbant (dans les
poudres matifiantes), de foisonnement et en tant que contrôleur de la
viscosité.
La silice à l’état de nanomatériaux est très répandue dans les produits
cosmétiques, tellement répandue que la Commission Européenne a demandé au SCCS
d’émettre une opinion sur leur toxicité.
Les particules de silice ont un haut potentiel de rupture des agglomérats qui peuvent ensuite traverser la
barrière cutanée et avoir un effet systémique.
L'avis du SCCS est en attente à ce jour.
Le Carbon Black
Il fait partie des nanomatériaux les plus utilisés en France tous secteurs
confondus (tonnage annuel supérieur à 100 000t) et extrêmement répandu dans
les produits cosmétiques, en tant que pigment noir (il s’agit d’une poudre
noire synthétique).
Il est composé de carbones élémentaires qui s’organisent sous forme de particules
sphériques colloïdales (nodule).
A condition que sa pureté soit supérieure à 97%, il est considéré comme ne
posant aucun risque pour la santé d’après le SCCS si sa concentration dans les
produits cosmétiques n’excède pas 10%.
En revanche, son potentiel d’irritation oculaire
n’est pas exclu, or ce colorant est utilisé principalement dans les produits
pour les yeux (mascara, eye liner, fard à paupière), mais ce point n’a pas été
soulevé par le SCCS. Voir le rapport complet du SCCS.
Le MBBT
Sous sa forme nano, le MBBT (ou 2,2’-Methylene-bis-(6-(2H-benzotriazol-2-yl)-4-(1,1,3,3-
tetramethylbutyl)phenol de son nom barbare) est un liquide blanc, utilisé en cosmétique en
tant qu’écran UV.
Les données sur la génotoxicité étant vacantes, le SCSS a été dans l’impossibilité
de donner une opinion sur sa toxicité. Cependant, il ne semble pas que le MBBT entraîne des effets systémiques sur l'organisme après application
cutanée. Voir le rapport complet du SCCS.
Comment savoir si le produit que j'achète contient des nanos ?
La réglementation oblige les industriels à mettre nano entre crochet ([nano]) devant le nom INCI de l'ingrédient à l'échelle nano.
Exemple en image :
Ce qui veut dire que si votre produit contient des nanomatériaux, le terme "nano" sera forcément écrit. Je reconnais qu'il faille avoir des bons yeux pour le lire (et aussi pour trouver la liste INCI, souvent cachée - référence à cet article), mais ça se fait :)
Pourquoi les nanos sont-ils arrivés dans les cosmétiques ?
Comme vous avez pu le voir dans la description des différents nanos, les plus répandus dans les produits cosmétiques, ont une fonction d’écran UV, c’est-à-dire qu’ils reflètent les UV arrivant sur la peau afin qu’ils n'entraînent pas de dommages sur l’organisme (les crèmes solaires, quoi).
Sauf qu’il y a quelques dizaine d’années (peut-être moins), les crèmes solaires étaient, certes très efficaces, mais pas très esthétiques. Le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc non nano, sont très opaques et restent en surface sur la peau, les crèmes solaires étaient très blanches et opaques à leur tour.
En gros ça restait aussi blanc sur la peau que sur la photo
L’industrie cosmétique s’est rendue compte qu’en diminuant la taille des particules, celles-ci avaient toujours les mêmes fonctions anti-UV, mais qu’elles étaient quasi-transparentes en formulation. C’est là que les crèmes solaires transparentes à l’étalement ont vues le jour.
Bien sûr, aujourd'hui les innovations concernant les nanomatériaux vont au-delà de ça : on peut les utiliser en tant que vecteur pour véhiculer des molécules d’intérêt en cosmétique (anti-rides ou anti-cellulite par exemple).
Si la technologie utilisant les nanomatériaux est bien maîtrisée, il est possible de développer des actifs très intéressants et novateurs pour l’industrie cosmétique. Le tout est de bien s’assurer de l’innocuité des ingrédients avant la mise sur le marché et malheureusement, les données sur les effets réels des nanos sont encore lacunaires (mais de nombreuses recherches sur leur toxicité sont en cours, heureusement).
A venir : un article détaillé sur les modes d’action des particules, leur
caractérisation, leur fabrication et enfin les progrès à faire pour l’industrie.
A bientôt !
Chloé